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Une réflexion intéressante pour réveiller une édition quelque peu endormie !

 

(Claire Marin, Chronique, La Croix, 12/09/2013)

Nous voilà donc rentrés. Même ceux qui ne sont pas partis « rentrent ». Car cet étrange mouvement de la rentrée est un effet du temps plus que de l’espace. Il nous offre l’occasion de nous interroger sur ce que signifie cette reprise des activités, ce retour à la normale après la parenthèse des vacances. Chacun retrouve sa place habituelle. Cessent les mouvements incongrus qui nous menaient loin de chez nous, dans des endroits qui précisément parce qu’ils ne nous sont pas familiers en deviennent exotiques, alors même qu’ils sont pour d’autres le lieu de la parfaite banalité.

Sommes-nous heureux de rentrer ? La valeur des lieux, le sens de nos déplacements, notre extension dans le monde sont des questions que la philosophie explore au moins depuis Aristote. Selon le philosophe grec, dans un monde en ordre – un cosmos – il y a toujours des hauts et des bas. Les corps légers s’élèvent vers le ciel, les corps pesants chutent. On ne verra pas de flamme s’incliner vers la terre. Dans la pensée aristotélicienne, l’espace n’est pas neutre ou indifférent, il n’est pas homogène mais éminemment qualifié et différencié (le haut n’est pas le bas, le sublunaire – le domaine terrestre – ne vaut pas le céleste). Les mouvements d’un être tendent toujours, sauf quand il en est empêché par des éléments extérieurs, à le conduire vers son « lieu propre », le lieu où il sera en parfaite adéquation avec lui-même. On pourrait alors dire que nous n’allons pas n’importe où, mais là où nous conduit notre être véritable.

Cette philosophie des lieux a trouvé des échos jusqu’au XXe siècle, quand Heidegger, relisant la Physique d’Aristote, s’est interrogé sur notre rapport à l’espace. Pouvons-nous vraiment vivre comme nous le faisons « tantôt ici, tantôt là » ? Nous ne savons p l u s « d e m e u re r » . L’homme semble avoir perdu le sens de la place et celui de « l’habiter » tel que Heidegger le nomme. Qu’est-ce alors qu’habiter ? C’est comprendre qu’un lieu doit être à la mesure de notre humanité, c’est-à-dire s’accorder humblement à notre finitude. Pour simplifier : il nous faut comprendre quelle est notre place, non pas dans l’orgueil et la frénésie d’extension qui caractérise notre époque de démesure, mais dans la conscience de la « distance » à respecter face à la nature et à la transcendance. Tenir sa place et y rester, savoir demeurer, donner un sens à notre séjour, notre présence sur terre.

Pourtant d’autres font l’éloge du voyage, rêvent de l’ailleurs, se méfient de l’enracinement, de ces places qui nous emprisonnent plutôt qu’elles nous définissent. Il y a peut-être des lieux qui nous correspondent mieux que d’autres, il y a sans aucun doute une valeur de l’expérience d’autres espaces qui interroge celui que nous sommes. Reste à savoir si le voyage n’est qu’un détour pour revenir heureux comme Ulysse, ou si c’est dans le chemin plus que dans la place que l’homme se découvre et se comprend.

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