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(Jean-Claude Guillebaud, écrivain, La Croix, Forum et débars, 18/6/2010)

 

«L ’esprit de résistance » : cette expression est le titre d’un livre publié par Serge Ravanel, grande figure de la Résistance, où il fut l’un des responsables des Corps francs. Disparu en 2009, Ravanel estimait que chaque époque, chaque période de notre histoire nous invite à renouer avec cet « esprit », c’est-à-dire avec le refus des capitulations et du conformisme ambiant. Dans le monde communiste, souvenons-nous, un autre mot était employé : celui de « dissident ». Il exprimait la même volonté – têtue – de ne pas se soumettre à une opinion majoritaire. En l’occurrence, c’est contre une « pensée » totalitaire que se dressaient les dissidents. Ces deux formes de courage – résistance et dissidence – n’ont rien perdu leur sens. À chaque époque ses conformismes, ses ralliements et ses lâchetés. Georges Bernanos en faisait l’amer constat au lendemain de la Libération. « Le mensonge a changé de répertoire », écrivait alors l’écrivain catholique, gaulliste de la première heure mais désabusé par les reniements de 1947-1948.

 

Aujourd’hui, les divers conformismes n’ont plus le même objet mais ils sont toujours là. Ils reflètent ce que les Grecs appelaient la doxa, c’est-à-dire la pesanteur des opinions les plus communément admises. Cette pesanteur est parfois implicite, invisible, silencieuse. Elle n’en est pas moins forte. À chaque instant, nous sommes tentés d’y céder. Ce n’est pas toujours pour de mauvaises raisons. Ce ralliement nous donne l’impression de mieux nous intégrer au groupe, à la collectivité, à la société. L’esprit de résistance, tel que le définissait Ravanel, à partir de sa propre expérience, c’est la capacité – parfois – de penser à contre-courant, d’être minoritaire, voire moqué par les « gens raisonnables ». Il nous commande, non point de nous opposer par principe mais de garder sans cesse en éveil notre esprit critique, notre liberté, plutôt que de nous conformer à la doxa du moment. Aujourd’hui, cette dernière prend divers visages : scientisme docile, consumérisme sans état d’âme, individualisme claquemuré, matérialisme militant, propension au cynisme. Le discours dominant nous invite le plus souvent à nous « adapter » au monde tel qu’il est. Il nous suggère de renoncer à un idéalisme qualifié de « ringard ». Quant à la foi et à l’exigence spirituelle, elles suscitent de plus en plus souvent la raillerie ou à la dérision. Mine de rien, l’air du temps nous convie ainsi à adhérer à un monde sans illusion ni compassion, sans vrais desseins collectifs, sans convictions, sans loyauté. Un sociologue, Christophe Dejours, nous mettait en garde par exemple, voici une dizaine d’années, contre ce qu’il appelait « la banalisation de l’injustice sociale ». Il évoquait notamment notre accoutumance progressive aux inégalités (qui explosent) et aux exclusions (qui perdurent), aux solitudes qui prolifèrent. Or, cette « banalisation » s’est aggravée depuis dix ans. Elle devient vertigineuse. Elle met à l’épreuve, jour après jour, notre esprit de résistance. C’est à tout cela qu’il s’agit aujourd’hui de dire non. Faire cela et s’y tenir – ce que font quotidiennement des milliers d’hommes et de femmes engagés dans la cité – implique qu’on accepte d’être minoritaires. Les premiers chrétiens le furent, parfois au risque de leur vie. Les résistants et les dissidents le sont toujours. La voie qu’ils nous ouvrent ne ressemble jamais à un long fleuve tranquille…

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