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(G. Pietri, Prêtre Ajaccio, Forum La coirx 26/12/2009)
Il y a un an, l’élection de Barack Obama à la présidence des États-Unis a fourni la preuve que le succès tenait tout à la fois à un projet et à la personne qui l’incarnait. Les commentaires qui ont suivi cet événement historique ont presque tous mis pleins feux sur la personnalité du candidat. Un métis américano-kényan, un don exceptionnel de chaleur et de simplicité, un pouvoir peu commun de convaincre les esprits en touchant les cœurs : de quoi susciter un enthousiasme qui, pour une élection de ce type, avait créé la surprise. Cet événement confirme-t-il la tendance maintes fois signalée à la personnalisation de plus en plus poussée des choix en tous domaines, y compris bien sûr dans le domaine politique ?
Invoquer le facteur d’amplification médiatique, comme s’il était l’unique clé d’explication, serait rester encore trop en surface. Il y a déjà longtemps que se vérifient l’affaiblissement des institutions, la diminution de leur emprise sur les mentalités et les comportements, leur difficulté à faire admettre les régulations qui sont de leur ressort. Le phénomène touche la société en son ensemble. Sans aucun doute il touche aussi l’Église
. Et il est nécessaire d’en relever quelques conséquences, dans la mesure où la personnalisation parfois excessive est corrélative de la baisse d’audience de l’institution en tant que telle.
Le sociologue allemand Max Weber avait distingué, en son temps, trois types de pouvoir : traditionnel, rationnel et charismatique. Ce dernier tient avant tout à la personne, à sa capacité d’ébranler les esprits et les cœurs par une façon d’être et de communiquer. Commentant Max Weber, le philosophe Raymond Aron parle des « chefs que l’accoutumance consacre, que la raison désigne, que l’enthousiasme élève au-dessus des autres » (Le Savant et le Politique). Qui évoque l’enthousiasme inclut par le fait même l’émotion comme moteur d’adhésion et d’engagement. C’est ce qui semble l’emporter de plus en plus souvent.
Comme chrétiens, qu’aurionsnous par principe contre l’émotion et la personnalisation ? Il n’est pas de foi religieuse qui repose, autant que la foi chrétienne, sur une personne, celle-là même du Christ. Nous ne sommes pas des adeptes d’un système, mais les disciples de la Personne du Christ. La communauté, issue de l’événement de sa mort et de sa résurrection, a pourtant figure d’institution. Certains semblent faire comme si la communauté chrétienne pouvait exister autrement, lorsqu’ils s’écrient : « Le Christ, oui, l’Église, non ! » En toute bonne foi ils donnent l’impression de ne jamais avoir saisi qu’à la base même de la communauté chrétienne les Écritures autour desquelles les croyants se rassemblent, les ministères qui s’exercent, les sacrements qui se célèbrent sont d’emblée le triple volet de l’institution. Quand bien même ces trois éléments seraient retenus en leur forme la plus élémentaire, sans beaucoup des développements intervenus au cours des siècles, ils n’en sont pas moins le visage premier de l’institution-Église. En dehors de là, il n’est pas de rencontre du Christ dans la foi.
Opposer systématiquement le fonctionnement institutionnel et la personnalisation n’a pas de raison d’être. Puisque notre attachement va essentiellement à la Personne du Christ, il est facile de comprendre pourquoi l’histoire de l’Église est jalonnée par des figures phares dans lesquelles à nos yeux d’hommes le Christ lui-même se reflète et l’Évangile s’incarne. Que la figure de François d’Assise focalise nos regards beaucoup plus que celle du pape de son époque, quoi de plus normal ? Ce type de pouvoir, Max Weber l’a qualifié de « charismatique ». À en rester à ce sens sociologique, et même sans se reporter directement aux charismes tels que les entend saint Paul et avec lui la tradition chrétienne, il est légitime à l’heure présente de se demander : quel avenir pour la foi chrétienne et pour la mission de l’Église, si la logique de la personnalisation est la seule désormais qui rassemble et surtout si elle est poussée à l’extrême ? À ce train-là, certains iront de maître spirituel en maître spirituel, à la recherche du plus « performant ».
Pour ne parler que des sacrements, il sera toujours impossible de sortir du raisonnement de saint Augustin au sujet du baptême dans le cadre des dissidences ecclésiales de son époque : Pierre baptise, et c’est le Christ qui baptise ; Paul baptise, et c’est le Christ qui baptise ; Judas baptise, et c’est le Christ qui baptise… C’est là le « service minimum » de l’institution, donc du pouvoir lié à la fonction et non d’abord au rayonnement personnel de tel ou tel. L’Église n’a jamais fait l’impasse sur cette réalité, sans laquelle tout serait livré aux aléas de la plus ou moins grande authenticité personnelle.
La tendance est, semble-t-il, de plus en plus forte. Elle porte à reconnaître dans des personnes dotées d’un réel charisme, qu’elles aient ou non une fonction officielle, des leaders auprès desquels seulement peut se vivre un authentique dynamisme évangélique. Le vrai danger est que l’attachement devienne inconditionnel.
Quant à l’Église, la question qui lui est renvoyée est celle d’une hypertrophie institutionnelle, où l’accumulation des structures rend souvent illisible le message qu’elles devraient porter. En somme, quelle est la qualité évangélique de nos pratiques institutionnelles ? L’état actuel des mentalités oblige à prendre cette question à bras-le-corps. D’autant que les responsables ecclésiaux sont en quelque sorte sommés d’être ces leaders entraînants, et qu’à défaut ils risquent d’être disqualifiés.

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