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(Forum, Jérôme Gondreux , La Croix 7 Janvier 2013)

De la fin du Moyen Âge à celle du XIXe siècle, une idée a pris possession, d’abord de quelques esprits, puis de la majorité de l’opinion : celle du progrès dans ce qu’il a de moins incontestable, progrès des connaissances et des techniques. Sur le projet de connaître et maîtriser la nature pour améliorer les conditions matérielles de la vie humaine, le consensus est demeuré large, par-delà la crise de l’idée de progrès au XXe siècle.

« Le progrès » tout court, pour beaucoup de nos contemporains, est en fait le progrès technique. Le progrès social et politique est plus difficile à définir, il apparaît différemment suivant les trois tendances fondamentales qui, depuis la fin du XVIIIe siècle, se partagent l’opinion dans tous les pays où émerge une vie politique : la tendance libérale, la tendance démocratique, la tendance conservatrice.

Ces trois tendances correspondent à des requêtes fondamentales de l’être humain – que chacun d’entre nous combine à des doses variables. L’idée libérale vise à une double autonomie : celle de l’individu, protégée par l’État de droit, et celle de la société civile par rapport à l’État. L’idée démocratique insiste sur l’égalité entre individus, condition de la justice sociale, et sur l’édification d’un peuple fraternel et solidaire. L’idée conservatrice s’appuie sur le besoin d’enracinement traditionnel, et le besoin qu’a toute société d’ordre et de stabilité. Chaque tendance génère une certaine perception du progrès.

L’affirmation de l’individu, du respect de ses choix personnels en tous domaines, l’attention aux mouvements spontanés de la société dessinent pour les libéraux un progrès par essence immaîtrisable, puisqu’il est celui de la liberté. Aux yeux des démocrates, l’égalité est le phare. Les conservateurs sont plus méfiants face à un progrès qu’ils voient souvent comme inéluctable, mais rêvent de modérer, voire d’encadrer.

Dans les années 1960 et 1970, le couplage société de consommationÉtat providence offrit un compromis entre les progressismes démocrate et libéral, au prix de la marginalisation relative des forces conservatrices. L’émancipation individuelle et la remise en question des hiérarchies établies ont pris valeur de norme, quand bien même les fondements de l’ordre social demeuraient plus fermement ancrés qu’il n’y paraissait. Le couplage des conceptions démocratique et libérale du progrès s’est alors focalisé sur les questions morales. La condition féminine et la question des minorités, parmi lesquelles les homosexuels, sont devenues des enjeux importants dans l’identité des gauches.

Les débats sur le pacs, puis ceux sur le « mariage pour tous », ont vu se réfracter les différentes requêtes qui traversent la société. Souci de la famille traditionnelle comme lieu de transmission d’une part, désir de reconnaissance et de dignité d’autre part, revendication d’intégration démocratique, tout cela est porté dans des débats plus ou moins sereins. Et le terme de « progrès », devenu rare, a resurgi dans le discours des défenseurs des réformes en cours.

On peut tenter ainsi de dégager les enjeux du débat. Dans la logique strictement démocratique, le mariage pour tous est un progrès, puisqu’il « égalitarise » et qu’il intègre. Il peut s’inscrire dans la logique libérale, dans la mesure où il accroît les possibilités de choix de l’individu. Dans la logique conservatrice, les choses sont plus délicates, puisque le mariage implique logiquement la possibilité de l’adoption : si un pôle féminin et un pôle masculin dans l’éducation d’un enfant sont nécessaires, s’agit-il de fonctions qui se trouvent éventuellement remplies par deux personnes de même sexe (ou une seule personne) ou de rôles ne pouvant être joués que par deux personnes de sexe différent ?

Les socialistes ont tranché ce débat pour leur compte, mais une division subsiste sur la question de la PMA pour les couples homosexuels. Celle-ci montera-t-elle dans le « train du progrès » ? A-t-on inconditionnellement « droit à l’enfant » ? La logique ici serait strictement égalitaire, et le « désir d’enfant » source d’une sorte de nouveau « droit-créance ». Le malaise perceptible dans l’attitude du gouvernement, qui ne prend pas position et manifestement laisse faire sans approuver, témoigne à mon sens de deux phénomènes symptomatiques de notre situation : la difficulté d’intégrer les données conservatrices une fois que l’on a invoqué purement et simplement le « progrès » (ce qui est le cauchemar classique de tous les modérés) et le manque d’une réflexion pluraliste sur cette question du progrès, véritable inconscient collectif de nos sociétés.

 

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