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Lu dans la Croix de ce jour
(La Croix,29-08-09,Geneviève Jurgensen)

Quand nous étions jeunes, nous tenions Ted Kennedy pour peu de chose. De multiples casseroles lui tintinnabulaient aux chevilles, tandis que ses trois frères étaient morts nimbés d’une aura qui ne s’est jamais dissipée. Pourtant, les décennies passant, le plus jeune des neuf enfants s’est étoffé physiquement et moralement. Lui, dont le père avait tiré les bonnes sonnettes afin qu’il accomplît son devoir militaire loin du front, en a quand même vu de toutes les couleurs. Comme pour démontrer que le plus puissant des parents ne peut tenir son enfant à l’abri de la vraie vie. Si Ted n’a pas connu la guerre, c’est bien tout ce qui – avec la pauvreté – lui fut épargné.

Outre les deuils qu’il eut à surmonter, lui imposant à chaque fois de s’interroger sur ce qu’il faisait, lui, de sa propre vie, il fut atteint dans ses enfants, puis par cette maladie qui vous prend et vous dévore, comme un capricorne le mélèze qu’on croyait si robuste. Lors de l’investiture du président Obama, son courage de grand malade nous avait bouleversés. Ce qui l’a grandi, lentement mais sûrement, plus encore que son influence bénéfique sur le Sénat, c’est d’avoir résisté. À quoi ? À n’être qu’un être humain tourmenté par la faiblesse dans une famille qui ne savait pas que ça existait. C’est un accomplissement propre à susciter la sympathie. Nous avons nos héros, ils nous guident du haut de leur piédestal.

Et puis nous avons nos frères, qui se sentent petits comme nous, assaillis par le doute, dont le lot est d’admettre que la grandeur est pour autrui et la médiocrité pour soi. La longévité ne nous est consentie, peut-être, que pour nous donner une chance de triompher au moins de cette épreuve-là. Même si 77 ans n’est pas un grand âge pour mourir aux États-Unis dans un milieu privilégié, ce fut malgré cela suffisant au sénateur Ted Kennedy pour habiter peu à peu le costume dans lequel il flotta jusqu’à ces dernières années. En apprenant sa mort, mercredi matin, beaucoup ont eu de la peine. Notre été aura donc été encadré par la mort de deux Américains, Michael Jackson et Ted Kennedy.

Il existe un lien personnel entre ces deux hommes : la belle-sœur de Ted, Jackie Kennedy-Onassis, fut en effet l’éditrice de Michael Jackson. Elle lui fit écrire à 29 ans – mais il avait déjà un quart de siècle de carrière derrière lui – un très beau livre de souvenirs et d’introspection (1). Le choc qu’a provoqué la mort de cet artiste de 50 ans fut double. Premier choc, la disparition en elle-même. En tant qu’artiste, il avait déjà disparu depuis une bonne dizaine d’années. En tant qu’homme, les masques et lunettes noires qu’il portait, sa maigreur, sa pâleur, ses opérations de la face tendaient à le faire disparaître également, comme s’il se biodégradait.

Second choc, l’événement médiatique qui en est résulté. Pas un Mondial de football, pas une catastrophe naturelle, pas un événement politique n’a jamais squatté les télévisions comme la cérémonie d’adieux organisée par la famille Jackson. Course à l’audience ou phénomène irrationnel ? Pendant plus d’une heure, tout ce qu’il y eut à voir fut une foule d’inconnus capables d’attendre recueillis l’arrivée d’un cercueil. Pas celui d’un dictateur, celui d’un artiste. Et ce n’est pas au show-business, au clinquant, aux millions, à la chirurgie esthétique ou aux bizarreries comportementales que ces admirateurs rendaient hommage, mais au talent, à la danse, à la grâce, au sourire, à l’innocence et à l’art de faire vivre en chacun quelque chose de noble et pur. Si particulière que soit la famille Jackson, elle avait bien compris cela, faute de quoi le Staples Center de Los Angeles aurait été rempli d’invités célèbres triés sur le volet plutôt que d’anonymes admirateurs tirés au sort.

Comme Ted Kennedy, Michael Jackson avait huit frères et sœurs. Les enfants de famille nombreuse témoignent souvent de leur besoin de s’en démarquer, trouver leur style, sortir de la mêlée. Michael Jackson sut le faire. Pour lui, écrit-il, la musique fut le moyen d’ « être touché par la vérité, de pouvoir l’interpréter » pour exprimer ses émotions, enrichir sa vie et celle des autres. Pour ses parents, elle était une manière efficace de retenir à la maison ces neuf gamins qui auraient été la proie facile des bandes de voyous et dealers dominant leur quartier pauvre du Middle West. Pas plus qu’à Ted Kennedy, ces précautions n’épargnèrent à Michael les questionnements douloureux de la vie. Enfant de puissant ou enfant de peu, personnalité indécise ou génie précoce, ces deux hommes qui nous ont quittés cet été ont dû, pour donner un sens à leur vie, puiser au fond d’eux-mêmes. Ce fut leur richesse.

Notre été aura donc été encadré par la mort de deux Américains, Michael Jackson et Ted Kennedy.


(1) Moonwalk (Éd. Michel Lafon, 1988). En consultation gratuite sur http://membres.lycos.fr/ mjm2002/moonwalk/ moonwalk.htm

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