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arton164.jpgCe week-end, peut-être aurez -vous le temps d'aller voir ce film ...le temps ne semblant pas propice à la cueillette de champignons. Par ailleurs, en ligne : le mot du Dimanche, Préparer le Dimanche.

(Pascal Wintzer, évêque auxiliaire à Poitiers, président de l’Observatoire foi et culture de la Conférence des évêques de France

Le film de Xavier Beauvois, sorti au début du mois, est exceptionnel. Plus qu’un film, au sens de produit de distraction, c’est une expression artistique à part entière : il donne à voir et à entendre des hommes, le monde, et même au-delà…

D’abord, quelques mots sur un titre un peu mystérieux. Il est inspiré du psaume 81 : « Vous êtes des dieux, des fils du Très-Haut, vous tous ! Pourtant vous mourrez comme des hommes. » Ces versets, placés en exergue du film, indiquent combien Xavier Beauvois et toute son équipe se sont mis au service de ce qui les dépasse, de ce qui nous dépasse, car il s’agit bien là d’itinéraires humains dans ce qu’ils ont de plus haut.

Face à la violence et à la peur, le film offre à contempler – ce verbe me semble parfaitement ajusté – des hommes, des religieux, qui vont jusqu’au bout de la fidélité. Chacun connaît, dans ses grandes lignes, l’histoire des moines de Tibhirine. Le film ne nous apprendra rien de nouveau. Aucun suspense, au sens ordinaire du terme, sinon la tension vécue par des hommes situés face au choix radical de leur vie : rester ou non alors qu’ils savent que leur vie est en danger.

Le film déroule le temps de ce choix. La parole circule, mais elle est toujours brève, économe, et de ce fait juste et nécessaire. Parole entre les frères d’abord, mais aussi avec les autorités militaires et surtout avec les habitants du village, pris entre la violence de l’armée et d’un pouvoir corrompu et celle des groupes islamistes qui se réclament d’un islam étranger à leur propre pratique et à leur propre croyance.

Le temps du choix, c’est aussi et surtout le temps du silence, du travail de la terre, de la contemplation de la beauté des arbres et des paysages et, bien sûr, celui de la prière. Au terme, chacun des moines exprimera sa décision de rester, et ceci par fidélité. Ils ont donné leur vie en répondant à l’appel du Christ, c’est le même appel qui se poursuit pour eux : pourraient-ils reprendre ce qu’ils ont déjà donné ? Et puis, cet appel prend la forme de la solidarité avec celles et ceux au milieu desquels ils vivent. C’est dans la paix qu’ils expriment leur liberté.

Bien sûr, pour le chrétien, le film nous situe au cœur de la foi. C’est le mystère pascal qui est vécu par la communauté de Tibhirine.

Une des plus belles scènes du film est celle du « dernier repas » qui rassemble les frères. La décision est prise. La paix habite les cœurs. Tout est accompli. Frère Luc, le médecin, interprété par Michael Lonsdale, apporte deux bonnes bouteilles de vin, à l’étonnement de Frère Christian (Lambert Wilson), et fait entendre un enregistrement du Lac des cygnes . À la musique de Tchaïkovski, la caméra montre les visages de chacun des frères, en gros plan, avec tendresse et respect. Et chacun passe du sourire au rire, aux larmes. Oui, tout est accompli. Le film pourrait s’arrêter là. Continuer, c’est dangereux ; continuer, c’est montrer la violence, c’est risquer de tomber dans le fait divers. Mais le film continue. Il doit poursuivre jusqu’au « vendredi ». Comment un si beau film, si juste, si humble, pourrait-il déraper ? Certes, la violence est là, mais jamais comme un spectacle. Les dernières images nous montrent cette colonne d’hommes marchant péniblement dans la neige. Une colonne mêlant indistinctement les moines et leurs geôliers ; tous frères ?

S’il fallait mentionner une limite, sans doute toucherait-elle la parole trop rare donnée aux villageois, le peu d’éclairages au sujet des débats internes à l’islam, de l’histoire récente de l’Algérie, de la colonisation et de ses suites. Durant ces années, il y eut 19 martyrs chrétiens, et des dizaines de milliers de victimes musulmanes, dont 70 imams, la plupart égorgés en raison de leur façon (non intégriste) de vivre leur religion. Plus que des réserves, ces points désignent plutôt des questions possibles pour les débats qui suivront la projection du film, même si c’est avant tout au silence qu’il nous conduit.

Voir Des hommes et des dieux est nécessaire, surtout pour recevoir le témoignage des moines au service duquel se mettent le film et tous ceux qui y ont travaillé. La violence du monde se manifeste encore en 2010, comme elle le faisait en 1996 en Algérie. Cet été, Michel Germaneau, un humanitaire français de 78 ans, a été assassiné ; cet été, dans notre pays, des actes de violence ont été perpétrés. Face à ces situations, on peut osciller entre la dénonciation de personnes, de groupes, estimés « naturellement » porteurs de violence, et une générosité parfois naïve. Les frères de Tibhirine indiquent une autre voie, cette d’une recherche plus ardue, plus complexe. Lucides et libres, ils sont les témoins d’une efficacité qui porte des fruits : ils disent et vivent la fraternité, et la désignent non pas comme un acquis mais comme un projet, comme le seul projet qui soit à hauteur d’humanité.

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