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 (Jean Rigal, Théologien, La Croix 19/06/2010)

La question est dans l’air. Elle a même fait l’objet d’un rapport à l’Assemblée des évêques français en novembre 2009. Elle surgit de plusieurs constats : l’indifférence religieuse, l’affaiblissement des institutions catholiques, les affaires de mœurs, l’impact des médias, les mouvements de restauration qui marquent les religions et les Églises, la crise des institutions… Mais au-delà de ces constats éclairants, il importe de réfléchir aux appels qui nous sont adressés, en se centrant sur l’essentiel, c’est-à-dire sur l’identité de la communauté chrétienne.

Le concile Vatican II, dès l’introduction de Lumen gentium, donne une clé d’interprétation et lance un défi qui devrait orienter et stimuler nos recherches et nos initiatives : « L’Église est, dans le Christ, en quelque sorte, le sacrement, c’està-dire à la fois le signe et le moyen de l’union intime avec Dieu et de l’unité du genre humain. »

Cette formule dense souligne dans quel sens doit s’inscrire la visibilité de l’Église. Elle en indique la Source, le Christ, mais inséparablement, elle en désigne les destinataires, « le genre humain ». Parler de l’Église en termes de sacrement, c’est dire qu’elle se reçoit du Christ et qu’elle demeure tournée vers les hommes. Ces deux dimensions ne sont pas juxtaposées, ni même simplement indissociables. Chacune interroge l’autre, pénètre l’autre.

Le rapport de Mgr Dagens insiste sur cette source. Le mot y apparaît quinze fois. À coup sûr, l’auteur veut s’écarter de tout dualisme, à plus forte raison de toute opposition entre liturgie et évangélisation, tradition et ouverture au monde. Effectivement, le peuple des baptisés n’est jamais sa propre source : il accueille la Parole de Dieu, rend grâces, annonce l’Évangile.

Dire que l’Église est le sacrement du Christ, c’est se centrer sur son enracinement dans un Autre qui la convoque, la rassemble et l’envoie. On ne peut pas être sacrement de soi-même. Autrement dit, cette dépendance radicale signifie que la communauté sera souvent une icône opaque, imparfaite, infidèle même, de Celui qui lui donne sa raison d’être. Elle n’est signe que dans la mesure où elle se convertit, à tous les niveaux, à la Parole de Dieu qu’elle proclame. « Convertissez-vous et croyez à l’Évangile » est un appel communautaire tout autant qu’individuel. C’est pourquoi le rapport Dagens insiste tant sur la relation du Christ à son Église comme exigence première de visibilité : « Au lieu, dit-il, de chercher et de dénoncer des obstacles à l’extérieur, il est urgent d’oser manifester la nouveauté chrétienne, de l’intérieur même de ce qui nous est donné par Dieu. »

Mais la visibilité de l’Église exige que l’on soit non moins attentif aux destinataires de l’Évangile, sous peine que la réalité sacramentelle du corps ecclésial soit gravement amputée. Cette dimension n’apparaît pas assez dans le rapport pour que visibilité et lisibilité se rejoignent. « L’assurance chrétienne » n’aura que peu d’impact si elle ne rencontre pas nos contemporains, « au ras du sol », dans ce qu’ils sont, ce qui les fait vivre, ce qu’ils craignent, ce qu’ils espèrent. Le pape Paul VI interrogeait clairement les chrétiens dans ce sens : « L’évangélisation perd beaucoup de son efficacité si elle ne prend pas en considération le peuple concret auquel elle s’adresse, n’utilise pas sa langue, ses signes et ses symboles, ne répond pas aux questions qu’il pose, ne rejoint pas sa vie concrète ».

Si l’Église se présente « en vis-à-vis » des hommes, si elle n’apparaît pas comme une communauté de relation, de compagnonnage et de dialogue, quelle sera sa visibilité ?

On n’est pas peu surpris, en lisant la constitution Gaudium et spes de Vatican II, de voir rebondir la notion d’ « Église-sacrement » mais, cette fois, en rapport direct avec la vie des chrétiens au cœur du monde. « L’Église est le sacrement universel du salut, manifestant et actualisant, à la fois, le mystère de l’amour de Dieu pour les hommes » (n° 45). Les deux verbes « manifester » et « actualiser » mettent l’accent sur les notions de « signe » et de « moyen » dont le Concile a déjà dit qu’elles étaient constitutives de la sacramentalité de l’Église.

La visibilité se conjugue, ici, avec les termes d’empathie, d’humanité, de solidarité, de partage effectif, d’intérêt commun. Elle peut prendre la forme de la contestation, voire de la dénonciation lorsqu’il s’agit du développement intégral de l’homme, de « tout l’homme et de tous les hommes ».

Sans triomphalisme ni excès de bonne conscience, on pourrait citer bien des exemples de cette « visibilité de la rencontre » au service de « l’humain véritable » (cf. Gaudium et spes, n° 26). Contentons-nous d’évoquer – pour ne prendre que deux exemples actuels – les prises de position concernant le travail du dimanche et les comités de solidarité créés par les diocèses. Ainsi, des chrétiens, avec d’autres, croyants ou non-croyants, agissent ensemble pour rendre cette terre viable et fraternelle. Il y va, certes, de la visibilité de l’Église, mais aussi, et d’abord, de la visibilité de l’Évangile.

 

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