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(Véronique Margron, Le Pèlerin, 15/10/2012)

 

Alors que s'annonce le projet de loi sur le "mariage pour tous", Véronique Margron, théologienne, décrypte le sens social, humain et religieux de cette institution et analyse les conséquences du mariage homosexuel sur la filiation.

Le projet de loi du "mariage pour tous" inquiète beaucoup les chrétiens. Êtes-vous contre cette réforme ?
Véronique Magron : Il faut se demander : "De quoi s'agit-il exactement ?" Les personnes homosexuelles qui demandent l'accès au mariage veulent vivre avec une personne de même sexe et fonder une famille. Si j'ai de profondes interrogations sur ce projet, je me refuse en même temps à sacraliser le mariage civil qui relève de l'institution sociale.

Ce serait un profond bouleversement social, mais aussi anthropologique !
Il y a deux différences qui structurent les sociétés : la différence des sexes et celle des générations. On peut vouloir délier ces différences, mais elles s'imposent pour que vienne l'enfant : nous sommes tous nés d'un homme et d'une femme...

Sur le plan éducatif, avec l'introduction du mariage "homosexuel", les plus jeunes vont être confrontés à de possibles difficultés en terme de construction identitaire : le risque serait qu'ils croient qu'ils auront un jour à choisir - ou élire - non plus seulement qui ils vont aimer au point de se marier, ce qui est un engagement libre, mais aussi si c'est quelqu'un de même sexe ou de l'autre. Or, on ne choisit pas l'orientation de sa sexualité.

Dans le préprojet de loi, le "mariage pour tous" ne désigne pas automatiquement les deux personnes comme parents et impose obligatoirement une démarche d’adoption.
Heureusement ! Si l'État accorde un droit, il est de sa responsabilité de s'assurer qu'une personne est en mesure d'assumer l'éducation complète et le soin d'un enfant. De plus, l'adoption plénière coupe la filiation biologique sur l'état civil de l'enfant.

Si demain, la loi ajoute la possibilité de deux parents de même sexe, la société fait un tour de passe-passe en laissant croire que l'enfant aurait pu naître de ces deux parents. L'identification nécessaire, qui est déjà difficile pour des enfants adoptifs, se complique plus encore avec des parents de même sexe. L'enfant est au cœur du débat.

On vous rétorquera que les couples homosexuels peuvent très bien élever des enfants…
Je ne remets pas en cause la capacité éducative, la vérité de l'amour, et je n'ai aucun droit de le faire. Ma question porte sur la tension que nous avons poussée jusqu'à la rupture entre parenté et parentalité.

Comme s'il était si simple de poser d'un côté un lien uniquement biologique, et de l'autre le "vrai", qui serait du côté du lien affectif, éducatif, de responsabilité qui pourrait être exercé indifféremment par une personne, deux, et deux de même sexe.

Le biologique ne saurait suffire pour devenir parent, loin s'en faut. Mais à l'inverse, peut-on faire comme si la filiation comptait pour rien ? Alors que nous n'avons jamais autant été à la recherche de nos origines biologiques quand elles viennent à manquer, ou à vouloir impérativement un enfant de nos gènes.

Le recours à la procréation médicalement assistée est une des hypothèses pour que les couples de femmes homosexuelles puissent accueillir un enfant.
Aujourd'hui, un couple marié n'a accès à la procréation médicalement assistée (PMA) que dans la mesure où son hypofertilité est médicalement déclarée. Si la PMA s'ouvrait au couple de même sexe, ce serait grave : la situation relève de la médecine, du soin.

L'art "médicinal" offre un "coup de pouce", décisif, et la souffrance du manque d'enfant n'a pas le dernier mot. Si demain la médecine n'était plus avant tout un geste de soin, comment pourrait-on refuser d'ouvrir la PMA aux femmes seules, ou aux demandes de confort pour des conjoints de sexes opposés ? Nous serions dans la prouesse technique, au service d'un désir qui se voudrait suffisant à lui-même.

Tout en condamnant ces relations, la position de l’Église est aujourd’hui plus accueillante envers les personnes. Comment peut-elle être audible ?
Accueillir les personnes mais condamner les actes - ce qui est le propos traditionnel du magistère - devient parfois difficilement tenable. Comment penser que nous pourrions condamner le désir et la volonté de s'aimer, même entre personnes de même sexe ?

L'Église reconnaît que la personne n'est pas responsable de l'orientation de sa sexualité : quand deux personnes de même sexe s'aiment, nous n'avons pas le droit de réduire cet amour à l'unique sexualité, comme si n'existaient pas le soin de l'autre, la tendresse, le désir de bâtir un avenir, l'engagement de la volonté.

Il nous faut donc trouver des paroles qui ne cachent pas ce que dit le magistère, et en même temps, impérativement, une parole qui soutienne l'existence qui cherche à être vraie.

Il y a donc la place pour une parole accueillante…
Comme chrétiens, notre vocation est d'annoncer une bonne nouvelle à un monde qui souvent désespère. Qu'avons-nous aujourd'hui à dire, qui soit source d'espérance, de courage, de joie, au nom du Christ, aux hommes et aux femmes d'aujourd'hui ?

Je m'interroge par exemple sur la parole de saint Paul aux Galates (3, 28) : "Il n'y a plus ni juif ni grec, ni esclave ni homme libre, ni homme ni femme..." Autrement dit, si nous faisons à juste titre l'éloge de l'altérité, de la différence homme-femme, ce qui fait une société, c'est d'abord ce qui nous relie, nous rassemble.

Nous nous reconnaissons semblables en dignité, de la même humanité. Quand je rencontre des gens, je ne me demande pas quelle est leur orientation sexuelle. L'autre - unique, différent - est de même condition que moi. Et si je suis chrétien, je le reconnais aussi enfant du même Père, fils de Dieu.

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