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Pendant le carême bien des réflexions nous sont proposées...trop peut-être pour que se dise ce que nous vivons paisiblement !

Tant pis si j'ajoute à ce concert de trop de paroles :

Pendant le carême, chaque semaine, les rubriques habituelles (le mot du Dimanche, Préparer le Dimanche)  et un article plus long pour donner à penser !

 

(Contribution de Maurice Bellet à un colloque organisé à la chapelle Saint Bernard, Paris, Novembre 2010)

La question pour moi est de savoir si nous sommes à la fin ou au commencement : je vous vois, je me vois aussi, et je constate que la moyenne d’âge de notre réunion est nettement au dessus de la trentaine….très nettement.

J’ai aussi entendu et vu le bilan de tout à l’heure, assez catastrophique. Et, évidemment, nous sommes à une fin de quelque chose : la question est de savoir si cette fin a un autre versant qui serait un commencement.

Une première difficulté, considérable, c’est que la fin on en prend acte mais que le commencement, on le crée ou pas. Il parait paradoxal de parler de commencement à des gens d’une génération qui n’est pas celle qui monte, mais on s’en fout, chers amis !

La question est de savoir ce qu’on porte en soi, ce qu’on pense et ce qu’on veut. Moi, je souhaite être du côté du commencement. Ca implique un déplacement des questions : très souvent, quand ils se rencontrent, les chrétiens se posent des questions d’ordre interne, d’institution. C’est parfaitement légitime, et vous me ferez la grâce de croire que je ne méprise pas ces questions.

Mais si nous voulons être au commencement, elles ne sont pas premières, car elles traitent d’un appareil, d’un organisme vieillissant. Il y a des questions qui sont en amont, et qui concernent la foi. Dieu existe-t-il ?

C’est une question prioritaire, parce que si par malheur Dieu n’existait pas, tout ce que nous racontons, c’est du vent. Encore que cette question n’est peut-être pas première.

Quelle est alors la question fondamentale que nous partageons avec tous les humains ?

LA question, qui coïncide avec la quête d’humanité, qui fait que les humains ne sont pas d’avance dévorés par les terreurs et fureurs qui étaient la peur des Anciens ; pour des gens qui ont vécu le XXe siècle, nous savons à quelle point la fureur, la démence, peuvent envahir une humanité prétendue civilisée.

On pense en avoir fini avec ces horreurs : mais il n’est pas sûr que nous soyons vraiment sortis de ce qui est

LE grand danger pour les humains ; il ne manque pas de voix qui s’élèvent aujourd’hui, à l’intérieur de l’Église et beaucoup en dehors, pour dénoncer les menaces effrayantes en nous et autour de nous. Mais il devient difficile d’interpréter cette crise : l’interprétation marxiste n’a pas perdu toute pertinence certes, mais elle ne suffit plus, et apparemment on ne voit pas d’interprétation capable de prendre le relais à la hauteur de la situation où nous sommes.

Sil y a une question qui m’occupe en tant que chrétien, en tant qu’être humain qui essaie d’entendre

l’Évangile, c’est celle-là : est-ce qu’il y dans l’Évangile, la source d’une parole qui parlerait à l’endroit où les humains sont menacés de destruction ? Si je me risque à répondre oui tout le reste suivra : l’institution, le pape… ce sont des champs de travail !…mais si je réponds non, alors je bricole dans quelque chose qui n’en finit pas de mourir.

 

Alors répondre à cette question, ou plutôt pouvoir la porter est capital. La situation du chrétien est

paradoxale, et ce qui fait notre difficulté peut se transformer en chance, parce que portant l’Évangile, qui représente une ambition fantastique, inimaginable pour l’homme, et confronté à la situation présente, l’homme de l’Évangile peut poser la question avec plus de dureté, de rigueur, de radicalité que tout autre.

Si c’est ça, ça va mieux.

J’ai vu tout récemment un incident minuscule, que j’ai honte de raconter parce que ça pourrait passer pour de la vantardise, mais il m’a donné à réfléchir : je suis allé à Toulouse invité par des scientifiques athées pour discuter avec eux et participer à une conférence à deux voix avec André Comte-Sponville. J’ai fait mon numéro, il a fait le sien, il y a eu les questions, ça a duré quatre heures, et à la sortie, j’ai eu de deux côtés différents la même réaction : deux femmes, jeunes, scientifiques, athées, m’ont dit : « C’est quand même curieux : c’est l’athée qui était doctrinaire, et c’est l’homme croyant qui posait des questions ! » J’en ai ét ravi.

Mais ça fait résonner une question fondamentale pour l’Église, les croyants : c’est que la modernité est en train de finir glorieusement dans un feu d’artifice éblouissant.

Et en même temps arrive ce que je vois, que j’évoquais à peine et qui est terrifiant : or, cette modernité à mis les croyants, l’Église, catholique en particulier mais pas exclusivement, dans une situation qui est à terme mortelle, c'est-à-dire que la foi au Moyen Âge était le lieu de la grande pensée (Thomas d’Aquin, Albert le Grand, Bonaventure….), la foi est apparu dans le monde moderne comme la croyance après laquelle arrivait la critique comme instance de vérité.

Tant qu’on reste dans cette structure là, les croyants sont des gens qui courent après les progrès de la science, de la pensée, avez deux attitudes : soit on durcit la doctrine, on résiste à l’invasion de l’hérésie, de l’infidèle ; soit on risque d’être toujours à cavaler derrière les dernières théories, la psychanalyse, tout ce que vous voulez, et d’arriver très laborieusement à montrer qu’un croyant peut quand même accepter quelque chose de ces doctrines à condition évidemment de les avoir nettoyées grâce à sa théologie.

Il faudrait sortir de là.

Il faudrait que la foi, inspirée par l’Évangile, qui est au coeur de l’Évangile, (se souvenir de la mise à mort par les humains du Logos, du principe de Vérité dont la lumière habite tout homme), arrive à se connaître comme profondément, essentiellement critique.

Et qu’est-ce que ça veut dire ?

Très concrètement que la foi devrait sortir de ces deux attitudes que j’évoquais précédemment, et d’une façon générale de cette prétention à résoudre, à arranger les affaires, bref une prétention à l’immédiat qui finalement correspond assez bien à ce que veut produire frénétiquement le monde qui nous gouverne, sous les auspices de l’économie mondialisée.

Et donc, ça risque d’être pour les chrétiens une situation d’épreuve. Je suis quand même frappé de voir que parmi les figures que loue et glorifie l’Église catholique romaine, il y a deux femmes, deux Thérèse : Thérèse de Lisieux et Thérèse de Calcutta qui toutes les deux ont témoigné que, au coeur de leur foi qu’au coeur de leur vie sainte, il y avait une épreuve d’obscurité d’une densité et d’une profondeur inimaginables.

Je ne dis pas que tous doivent passer par là, ce serait absurde. Mais je dis que c’est quand même significatif de cette chose qui peut-être caractérise l’homme de foi qui veut que sa foi soit à la hauteur de l’Évangile : non de baigner dans l’euphorie de la croyance, mais d’être labouré intérieurement non pas par le doute mais par quelque chose qui est beaucoup plus radical que le doute : une épreuve de vérité qui le met à nu par rapport à la menace de destruction.

Mais cela nous invite à travailler. Si l’on perçoit quelque chose de ce que je viens d’évoquer, si l’on perçoit un chemin, il faut être prêt à travailler cent ans ; et ce travail consistera, entre autres, à opérer une sorte de déménagement de ce qu’a été la culture chrétienne dans la modernité, vers ce qu’elle pourra être dans la postmodernité.

Immense sujet, que je ne peux aborder. Je prendrai un simple exemple : prétendre hériter de ce qui a fait l’intérêt et la valeur de la chose chrétienne, mais pas de Dieu. Pas de la religion. Alors, il y a une attitude qui peut venir de chrétiens aussi bien de droite que de gauche, et qui consiste à dire : « c’est quand même ennuyeux, il faudrait quand même rétablir Dieu d’abord ! » Et il y a une autre attitude qui consisterait à dire : Non, nous allons, pour l’instant, laisser en suspens la question de Dieu, et prendre la question qui intéresse immensément les hommes d’aujourd’hui : comment la relation humaine est –elle possible ?

Comment pouvons-nous avoir entre nous une vie telle que nous ne soyons pas dévorés par les monstres ?

Prenons ces questions là, et laissons Dieu attendre : nous verrons bien s’il apparait ! S’il apparait, ce sera en creusant, creusant, en creusant ! Et nous verrons ce qu’il en est d’une relation humaine qui ne soit pas contaminée par le fléau de la violence. Et nous pourrons rencontrer celui qui a été au coeur de la violence la plus extrême : le Logos crucifié.

Nous adopterons une théologie axiomatique, capable de prendre toutes les situations, toutes les entrées possibles, et de naviguer là dedans en inventant quelque chose qui a une chance de prendre signification pour les humains d’aujourd’hui.

Tout cela amène sans doute l’apparition d’un nouveau style de chrétiens, beaucoup moins préoccupés des problèmes d'institution, qui peut à la fois être dans une paix intérieure capable de rivaliser avec les belles traditions orientales etc., dans une certaine gaité, et en même temps habiter le plus au fond possible le trouble qui caractérise l’homme d’aujourd’hui, non pas pour donner une réponse aux questions des hommes – quelle prétention – mais pour que ces questions soient une quête où l’on puisse vivre sans désespérer.

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