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(Bruno Frapat, l’Humeur des jours, La Croix, 11 Mai 2013)

Message

C’est un mail personnel, reçu la semaine dernière. Il a été adressé au chroniqueur par une personne très chère, pas plus politisée que la moyenne et qui n’a guère de temps à consacrer à la chose publique. Comme beaucoup, le matin, avant de partir au travail (un travail difficile, exigeant, au plus près des souffrances humaines et mal rémunéré) elle écoute les nouvelles à la radio. Ce matin-là elle a explosé de colère, en une phrase jetée à la mer sur son ordinateur.

« Ce matin j’avais envie de t’écrire mon ras-le-bol de la presse qui, sans arrêt, nous affiche ces histoires de fric… Tous les matins quand tu ouvres en ligne la page de (tel journal), il faut qu’on soit mêlés à des histoires d’appart à 7 millions, de tableaux non déclarés…, y en a marre à la fin ! » Puis le propos s’apaise : « Voilà, à part ça, on va tous bien. »

« Marre à la fin ! »…Combien sont-ils, les anonymes qui, de la sorte, doivent alterner les colères pour cause médiatique et les petits (ou grands) bonheurs de la vie personnelle et familiale ? Combien sont-ils à se considérer comme harcelés, dès potron-minet, par les développements des dernières « affaires » de la République ? À subir l’étalage de la mauvaiseté, des mensonges, des dissimulations, des démentis offusqués, tandis que s’ouvrent devant eux des journées de labeur pas toujours gaies ?

Quand cette personne dit « la presse », elle ne s’attaque pas uniquement à la presse écrite, en bon papier, et surtout pas à La Croix , journal sobre en « affaires » et qui s’attache à braquer les projecteurs sur ce qui tourne, ce qui, dans l’actualité, hausse le niveau de la réflexion et débusque les courants souterrains de la positivité. Non, elle hurle contre ce que nous appellerons les gros médias, ces fortes voix qui dominent le concert national comme des instruments de musique qui, dans un orchestre, jouent trop fort. Ces radios sonores, ces télés voyantes, ces quotidiens dominants, ces hebdomadaires aux couvertures tonitruantes : chaque jour en effet il s’agit pour chacun de nous lancer à la figure et à la conscience toutes les avanies dont certaines élites sont capables.

« Marre à la fin ! »…Il y a longtemps que la question est posée à la profession de journaliste au sujet des effets de cet étalage, de cette scie constamment renouvelée qui tend à nous faire ressentir que tout ce beau monde est pourri jusqu’à l’os. Que la République est aux mains de forbans ou d’incapables. Qu’une bande de malfaiteurs s’est emparée de l’argent public. Ou, plutôt, que plusieurs bandes rivales se disputent le territoire comme des trafiquants de drogue dans les « quartiers difficiles » de Marseille et autres lieux. Que, dans les arcanes du pouvoir, le seul objectif est de partir avec la caisse, alternant les discours sur le nécessaire civisme et les pratiques de la rapine la plus éhontée. Comment vivre avec ça, en effet, chaque matin avant de partir au boulot ?

Balai

Dans le mental de son public, et donc de la nation, « la presse », ou plutôt le système médiatique, joue un rôle majeur. Terrible, même, et souvent sans le savoir. Ce système fondé sur la « révélation », le « scoop » supérieur à celui du concurrent, passe en boucle sur la France comme une averse sans fin. C’est un orage de grêle toujours renouvelé. Il faut se méfier de la taille des grêlons. Et de leur retour permanent. Ils tombent sur nos têtes et y font plaies et bosses.

« Mais il faut bien dire ce qui se passe et raconter ce qui est, c’est notre devoir d’informer »,se défend la corporation des révélateurs, des farfouilleurs de l’actu, des étalagistes de la malfaisance. Et ils ajoutent : « Le public nous le demande. » Il y a du vrai dans cette défense. Les plus rétifs à ce déversement constant ne sont pas les derniers à en parler, entre amis, en famille, au bistro, au salon. L’opinion publique, ce monstre chaud, raffole des cancans, des petites histoires qui mettent en évidence les contradictions des puissants du jour ou de ceux de la veille.

Il n’empêche que l’on peut, et doit, se poser la question des conséquences de ce déballage permanent. Se demander si, en privilégiant ce qui ressort des égouts de la République, on n’en vient pas à tordre la réalité. À s’empêcher de décrire aussi ses aspects plus riants. À masquer, par négligence, tout ce qui, dans la vie d’un peuple, demeure admirable, désintéressé. Tout ce qui, chez les puissants eux-mêmes, reste de dévouement à la chose publique, d’intérêt porté aux difficultés de « ceux d’en bas » par « ceux d’en haut ». Car il n’est pas vrai que les dirigeants de la France passent leur temps à s’en mettre plein les poches. Pour certains qui se servent, il en est beaucoup qui servent. Il est faux de les présenter tous, passés, présents ou futurs, comme des avides, des goulus aux doigts crochus.

Cette généralisation abusive s’est vue, dans le passé. Nous avons connu des époques où, déjà, l’antiparlementarisme et le simplisme, nourris pareillement par des « affaires », firent vaciller la République et accrochèrent à leur palmarès des morts, des suicidés, des assassinés par la rumeur.

Ceux qui, tel Mélenchon, réclament un « coup de balai » se rendent-ils compte du poids des mots qu’ils emploient ? Qu’est-ce en effet qu’un bon nettoyage de printemps dans une maison bien tenue ? Cela ne consiste pas à tout jeter à la poubelle, à tout bazarder à la décharge publique, à faire le vide complet. Mais à trier soigneusement : d’un côté le nécessaire, ce qui peut encore servir, les vêtements qui feront plusieurs saisons, et, de l’autre, ce qui, décidément, ne vaut plus tripette et ne servira même pas aux générations futures. Au moment du printemps (quand il y a un printemps…) il y en a qui sont tentés de tout brûler et d’autres de tout conserver. On a vraiment l’impression, ces tempsci, que les médias, dans leur travail dit de « transparence », nous désignent l’ensemble de ce qui est à jeter. Tout, ou presque.

Ensuite

Et après ? Quand tout aurait brûlé ? Quand le grand coup de balai, manié par des millions de bras, serait passé làdessus ? Quand les bennes à ordures auraient évacué les pestilences supposées, les équevilles présumées, quel visage aurait la Nation ? Vers quoi la transparence absolue dirigerait-elle nos regards ? Probablement vers un vide immense où régnerait la seule haine : haine du passé, haine de la République, haine des autres (suspects, forcément suspects). Beaucoup plus sûrement que vers la fraternité et l’acceptation de la complexité. Nettoyer les écuries d’Augias, beau projet ! Mais attention à ne pas croiser, finalement, le regard triomphant du Malin, se frottant les mains, avec gourmandise, devant les effets de son travail. Il serait trop tard pour dire « Y en a marre ».

 

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