Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Numeriser0016.jpg(Nathalie Nabert, Vendredi Saint, La Croix, 27 Février 2002)

 «Père, je remets mon esprit entre tes mains. » Les dernières paroles du Christ sur la croix, rapportées par saint Luc (23, 46), sont celles de la prière de confiance du psaume 30 : « Car c'est toi ma force ; en tes mains je remets mon esprit. Tu me délivreras, Eternel, Dieu de vérité ! Je suis comme un vase brisé... Mais en toi je me confie, ô Eternel ! Je dis : Tu es mon Dieu ! »

Il faut mettre ces paroles sur nos lèvres. Il faut les respirer avec ardeur, en faire notre nourriture de jour comme de nuit, les laisser redescendre des temps accomplis de la Passion vers nos jours d'indigence et de confusion, pour en recevoir des flots de lumière, de force et de vérité. La vérité s'établit ainsi entre les tessons brisés de nos vies confiées à la grâce et au devenir de l'Esprit. Elle échappe à nos mains puissantes de bâtisseurs. Elle traverse nos âmes sèches et chancelantes d'orgueilleux, renaissant de notre endurance et de notre docilité dans l'épreuve.

Sur la croix, le Christ n'était qu'obéissance, oubli de soi, exhalaison du Fils vers le Père. Dans notre ascension vers la croix, nous devenons, jour après jour, la respiration du Christ, le don de l'humanité cachée dans l'obéissance du Fils.

Il faut redevenir des petits enfants dans la résurgence de l'humilité, dans l'abandon et l'obéissance, dans le dépouillement intérieur et l'effacement de soi. « Celui qui voudra devenir grand parmi vous se fera votre serviteur, et celui qui voudra être le premier d'entre vous se fera votre esclave. C'est ainsi que le Fils de l'homme n'est pas venu pour être servi, mais pour servir et donner sa vie en rançon pour la multitude. » (Mt 20, 26-28.)

Il faut redevenir des humbles entre les épines du Christ, éclairés par nos acceptations répétées, par la mesure de nos silences et de nos paroles, comme le Serviteur souffrant du Livre d'Isaïe, s'accablant lui-même des fautes de la multitude, mais déjà transformé dans la lumière de la vie divine (Is 53, 10-11).

Il faut retrouver la petitesse de la foi entièrement confiée, qui ne vaque plus à elle-même mais à son Dieu, et dans laquelle toute la force du monde se résume, parce que la faiblesse de l'homme y est portée par la tunique du Christ.

Il y a un sens inépuisable dans l'attitude du Serviteur souffrant, le retournement d'une vie, l'aboutissement d'une intention, l'envol d'un amour qui ne se possède plus lui-même, mais qui se laisse posséder par la volonté de Dieu. Notre vie, comme celle du Christ au calvaire, ne nous appartient pas, avec ses ombres du coeur et ses éclairages de l'esprit. Notre vie n'est pas notre bien, mais l'offrande que nous en faisons, laissant Dieu vouloir en nous ce que nous pouvons lui présenter de meilleur, le laissant disposer de tout dans nos existences troublées, des piétinements et des chutes comme des transfigurations sans nous en inquiéter davantage.

C'est cela, la confiance du Serviteur : ce regard d'homme attardé sur les plaies du Christ, ce regard transporté par l'autre qui a cessé de s'étreindre dans sa souffrance, délivré de lui-même, et qui s'écrie, comme Pascal aux heures limpides de sa conversion : « Vous êtes le souverain Maître : faites ce que vous voudrez. Donnez-moi, ôtez-moi, mais conformez ma volonté à la vôtre ; et que dans une soumission humble et parfaite, et dans une sainte confiance, je me dispose à recevoir les ordres de votre providence éternelle » (Pascal en prière, textes réunis et présentés par Anne d'Eugny, Ed. Labergerie, Paris, 1962).

Il y a ce temps du renoncement à sa volonté propre dans le désert du Carême, cet abandon simple et tranquille de l'homme dépossédé de lui-même, cette paix enfin acquise de celui qui se laisse doucement prendre à l'intimité de Dieu : Dieu venu accomplir en lui le mystère de la Rédemption, venu laver la mort de Jésus dans la transparence d'une âme recluse en lui et qui murmure dans un souffle : « Entrez dans mon coeur, et dans mon âme, pour y porter mes souffrances et pour continuer d'endurer en moi ce qui vous reste à souffrir de votre Passion que vous achevez dans mes membres jusqu'à la consommation parfaite de votre corps » (Pascal, ibidem).

Cette rencontre d'une âme nue avec le Christ de douleur, qui dépose en elle le crépuscule de ses membres, est comme une levée d'aube, comme la rosée de l'Hermon descendue jusqu'aux profondeurs de la terre pour la bénir et s'unir à elle. Ainsi en va-t-il de l'homme devenu la demeure de Dieu, s'étant retiré de lui-même, adossé à l'infini avec des mains d'orant et des lèvres de prophète.

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :